Quels bateaux en 2030 ? Carburant de synthèse...

Les industries automobile et aéronautique donnent le cap de la plaisance. La lecture de 4 rapports de référence permet de tirer des conclusions. Dès 2030, le marché sera électrique, l'hydrogène n'est pas pour demain, les bateaux seront plus frugaux. Ce ne sera pas vécu comme une régression et c’est la principale révélation de ces rapports, car les changements d’usage vont de pair avec l'évolution des mentalités. Guillaume Jacquet-Lagrèze, fondateur de Seazen vous propose de partager la synthèse de ces lectures confrontée auprès de 5000 plaisanciers.

Sommaire

Les vrais enjeux

La navigation des bateaux de plaisance étant responsable de moins de 0,1% des émissions mondiales, il pourrait être urgent d’attendre.

Pour autant, la lame de fond de la transition risque de transformer la demande. Nous entendons déjà parler du “flygskam” ou “flight shame” dans le transport aérien. Le consommateur de 2030 prendra-t-il encore du plaisir à acheter un engin avec un moteur à explosion et à faire le plein avec de l’énergie fossile en provenance de l’étranger ? C’est la grande question pour la filière nautique.

Sans prétendre lire l’avenir dans une boule de cristal, la lecture de plusieurs centaines de pages de rapports de référence nous en apprend énormément. Nous proposons une synthèse de ces lectures puis nous les mettons en perspective de la filière nautique et de notre expérience des réactions du public à la navigation décarbonée. Le lecteur pourra aisément vérifier nos conclusions dans les sources citées.

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Les leçons des 4 rapports

Rapport n°1 sur le nautisme de demain
Leçon n°1 : l’avenir de la plaisance dépend des externalités

Le rapport de référence rédigé par la filière nautique à la demande de la Ministre de la Mer aborde principalement les aspects déconstruction, formation, simplification administrative, nouveaux usages et sécurité. Bonne nouvelle, la filière française est leader en déconstruction de bateau, et elle peut en être légitimement fière ! Mais les auteurs de ce rapport rappellent également la dépendance de la filière aux externalités. Pour bien la mesurer, voici une comparaison du poids respectif des industries Nautique, Automobiles et Aéronautiques.

Chiffres 2019 Milliard €
Production bateau à moteur et voiliers 1
Fabrication de véhicules automobiles 109
Construction aéronautique 110

En clair les solutions ne viendront pas de l’industrie nautique. Étudions ces autres industries pour mieux revenir sur le nautisme à la suite de cet article.

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Rapport n°2 sur le plan de transformation de l’automobile
Leçon n°2 : les mentalités n’auront rien à voir avec aujourd’hui

Commençons notre examen des externalités par la lecture du plan de transformation vers la voiture électrique rédigé par The Shift Project. Ce rapport fait référence d'autant plus que l’automobile s'intéresse énormément aux évolutions de la société.

Pour commencer et cela a déjà été annoncé maintes fois, en 2050 il n’y aura plus de voiture à énergie fossile neuves. Plus surprenant il n’y aura pas non plus de voitures électriques à hydrogène (avec Piles à Combustibles). Retenons ce point car il confirme une problématique soulevée dans le plan pour l’aéronautique dont nous parlons plus loin.

En 2050 il n’y aura ni carburant fossile ni voiture hydrogène

En 2050 il n’y aura ni carburant fossile ni voiture hydrogène Source Shift Project, PTEF Automobile page 91
Source Shift Project, PTEF Automobile page 91

Sortons maintenant du rapport et revenons sur l’actualité économique. Les difficultés de la transition sont telles que le PFA, le « lobby » automobile, demande à l’Europe de retarder l’échéance du tout électrique 2050. Il est donc surprenant de voir les constructeurs faire la course pour être les premiers à annoncer au public un passage au 100% électrique dès … 2030 voir 2025. Déjà une vingtaine de constructeurs seront tout électrique en 2030. Citons Jaguar, Stellantis, Renault, Volvo, Mercedes et même Rolls Royce qui annonce que l’électrique correspond tout à fait à l’esprit de la marque.

Pourquoi faire cette course d’annonce aussi dangereuse alors que la règlementation européenne ne parle que de 55% d’électrique pour 2035 et alors que The Shift Project évoque 2050 ? Est-ce juste pour exister face à la concurrence de Tesla ?

Revenons au rapport du Shif Project. Nous voyons que la voiture thermique va se substituer en faveur des 2 roues, quadricycles ou vélo, tous électrique.

Source Shift Project, PTEF Automobile
Source Shift Project, PTEF Automobile page 69

En fait une grosse partie de la transition énergétique va se faire grâce aux changements d’usages. N’est-il pas plus bénéfique pour la santé de faire les petits trajets en vélo ou à pied que de prendre sa voiture ? Le bon sens est le premier gagnant de la transition énergétique.

Oui mais voilà le problème : plus les particuliers seront équipés en trottinettes et vélos électriques plus ils rechigneront à monter dans un véhicule thermique qui sent mauvais et qui réveille le voisinage. En marketing, on appelle cela la cohérence cognitive. C’est un puissant levier de changement des comportements illustré par la réussite des campagnes anti-tabac. Souvenez-vous que quelques années ont suffit pour transformer les comportements des fumeurs dans les restaurants. Ce « point de bascule psychologique », l’industrie automobile le voit peut-être pour 2030 sans trop oser le dire.

L’industrie nautique doit imaginer l’impensable ! Le plaisancier de 2030 ne sera pas le plaisancier que nous connaissons en 2022. Il semble cohérent d’imaginer que beaucoup de plaisanciers souhaiteront naviguer électrique en même temps qu’ils rouleront en trottinette, vélo, quadricycle ou en voiture électrique. La cohérence cognitive ne s’arrêtera pas sur le quai des ports !

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Rapport n°3 sur le plan de transformation de l’aéronautique
Leçon n°3 : il n’y aura pas d’hydrogène pour tout le monde

L’aéronautique connaitra aussi un changement d’usage. Par exemple les vols courts vont basculer vers les déplacements en train. Mais comment les nombreux avions restant vont réussir leur transition ? L’aviation compte sur l’hydrogène, qui nécessite principalement de l’électricité pour être produit. C’est là que cela devient intéressant pour les plaisanciers…

Dès 2030, les énergéticiens devront fournir de l’hydrogène pour produire les carburants de synthèse PTL ou même pour alimenter les avions. Source Shift Project, PTEF Aviation page 77
Dès 2030, les énergéticiens devront fournir de l’hydrogène pour produire les carburants de synthèse PTL ou même pour alimenter les avions
Source Shift Project, PTEF Automobile page 77

En relatif le besoin en hydrogène semble négligeable sur ce graphique. Mais dans l’absolu, selon les auteurs de ce rapport, en 2050 il faudrait déjà installer 8 fois plus d’éoliennes sur le territoire français et consacrer la totalité à la production d'hydrogène vert l’aéronautique.

En clair si d’autres industries que l’aéronautique, par exemple l’industrie nautique qui pèse 100 fois moins, voudraient monter une filière d’approvisionnement en hydrogène, il faudrait trouver un moyen de dépouiller l’aéronautique qui aura déjà du mal à se fournir. Et accessoirement nous supposons que les marins accueilleront avec bienveillance des éoliennes dans leurs zones de pêche pour produire de l’électricité qui servira à produire l’hydrogène !

Rapport n°4 de RTE
Leçon n°4 : la consommation des bateaux doit baisser de 40%

Prenons encore un peu plus de perspective en résumant les résultats du rapport de RTE, le gestionnaire du réseau électrique français, qui fait aussi référence. La transition énergétique, vise à remplacer ce que nous faisions aujourd’hui à partir d’énergies fossiles par des solutions à base d’électrique décarbonée telles que les éoliennes, le solaire, le nucléaire ou les barrages. Lorsqu’il n’est pas possible de se passer de carburant il y aura des carburants de synthèse ou bio carburants. Or le carburant de synthèse ne sera produit à prix compétitif que s’il est produit en masse, et bien sûr aussi à partir d’énergie électrique. On parle alors de Power to Liquid. Quoi que l’on fasse, le besoin en production électrique de trouve décuplé par la transition énergétique.

Fort heureusement, la consommation d’énergie globale va passer de 1600 à 930 TWh grâce aux économies d’énergie de 40%. Globalement, la part de la consommation électrique va passer de 25 à 55%. Dans ce schéma, nous voyons bien quelques TWh pour l’hydrogène vert. Il sera réservé pour nos amis de l’aéronautique et de l’industrie. On peut facilement imaginer que le transport maritime de passager obtienne quelques reliquats aussi car ce transport collectif est d’intérêt public.

Comment croire que l’hydrogène pourra être disponible prochainement dans les ports de plaisance ? (Source Fig 1.3 du Rapport Complet RTE avec Stratégie Nationale Bas Carbone)
Comment croire à de l’hydrogène disponible pour les "riches plaisanciers" s'il y a pénurie ?
Source Fig 1.3 du Rapport Complet RTE avec Stratégie Nationale Bas Carbone

Jean-Marc Jancovici enfonce le clou disant que les 30 glorieuses nous ont appris à vivre dans un monde d’abondance énergétique et que la transition nous apprend à viser la frugalité. Il précise bien que la frugalité n’est pas un appauvrissement de la société car elle répond à une évolution de la demande.

Dans un univers rationné et en compétition avec d’autres filières, rien ne laisse penser que le nautisme saura convaincre les pouvoirs publics de leur octroyer une trop grosse part du gâteau de l’énergie. Donc toutes choses égales par ailleurs, la plaisance devra économiser 40% de sa consommation par rapport à aujourd’hui.

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Vers un Yalta de l'énergie

De superbes yachts à hydrogène arrivent sur le marché avec une promesse d’avenir pour la plaisance. D'autres constructeurs de bateaux misent sur l'arrivée des carburants synthétiques et encore d'autres constructeurs pensent que des grosse batteries vont permettre de stocker suffisamment d'énergie pour aller en en Corse !

Rappelons encore une fois que l’hydrogène utilisé pour les Piles à Combustible ou tout carburant synthétique doivent être vert pour pouvoir être utilisé dans le cadre de la transition énergétique. Ce qui conduit à utiliser d'énormes quantité d'électricité rien que pour produire ces carburants. Il faudrait vraisemblablement doubler notre capacité de production électrique. Combien de centrales nucléaires ou de panneaux solaires veut-on dans nos campagnes ? Cela va prendre du temps. En clair, il n'y en aura pas pour tout le monde pendant de nombreuses années. Nous allons donc vers un Yalta de l'énergie.

Dans ce Yalta, le nautisme n'a pas le même poids économique que l'automobile et l'aviation pour se partager une ressource qui deviendra rare. D'un simple point de vue technique, les avions ont toutes les chances d'être prioritaires sur les voitures car ils ne peuvent tout simplement pas voler avec des batteries. Du point de vue de l'intérêt général, le carburant pour le transport de passager sera fatalement prioritaire en cas de pénurie par rapport à un usage de privé. Alors le yacht privé, qui ne coche aucune case, sera vraisemblablement le dernier à pouvoir utiliser les carburants synthétiques ou l'hydrogène ou des chargeurs pour mega-bateries.

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L'avenir du nautisme en 2030 ?

Revenons au consommateur de 2030. Ses attentes sont différentes de celles d’aujourd’hui. Il raisonne tout électrique parce que les usages automobiles, avions et transports évoluent en même temps que lui.

Compte tenu du temps nécessaire pour développer une nouvelle technologie dans le nautisme, il ne faut pas espérer que des solutions miracles vont surgir si elles ne sont pas déjà connues maintenant.

Les technologies, nous les connaissons déjà !

Il reste toujours la voile c’est une certitude et cela tombe bien pour la France car c’est un savoir-faire bien maitrisé. Quant aux moteurs électriques qui équiperont les bateaux ils s’alimentent sur des batteries. Les années qui restent d’ici à 2030 offrent un délai très court pour renouveler toute la flotte de plaisance. De nombreux propriétaires de bateau vont préférer investir dans la rénovation électrique de leur bateau, ou Retrofit. Les acheteurs de bateaux neufs pourraient être tentés par des nouveaux types de navires peut-être à foils pour diminuer la consommation ou bateau solaire pour augmenter l’autonomie.

Vu que le bateau ne pourra pas embarquer la même densité énergétique, il sera globalement moins rapide et moins autonome. Va-t-on parler de régression ou de progrès ?

Pour répondre à cette question, prenons les usages concrets des plaisanciers de la Côte d’Azur que nous connaissons bien.

La sortie à la journée sera un pur moment de zénitude

Beaucoup de propriétaires de petits bateaux l’utilisent pour une sortie de quelques heures. Un bain de mer, un apéro ou une sieste. La méditerranée offre en moyenne un port tous les 4 kilomètres. Il suffit donc de quelques minutes de navigation pour mouiller l’ancre dans un mouillage de rêve. La plupart du temps l’huile des moteurs à explosion n’a pas eu le temps de chauffer que le bateau est à destination. Cet usage du dayboat est particulièrement adapté à une navigation électrique. Le moteur et une petite batterie suffisent amplement.

Beaucoup de plaisanciers aiment naviguer dans des mouillages différents à chaque fois. Pour eux, le boat club est le service adapté à des sorties depuis des ports différents sans avoir à faire de formalités administratives et à un prix attractif. Le boat club est plus zen sans les tracas de la propriété.

La croisière sera une ode à la contemplation

Si l’équipage est amoureux de la mer et de la navigation, peu lui importe la vitesse. Le programme de navigation électrique sera plus lent pour préserver l’autonomie des batteries. Il sera somme toute assez proche de celui des voiliers. La navigation sera toujours un moment de plaisir, bercé par le clapotis des vagues pour savourer un repas, contempler le paysage et converser à voix normale avec ses proches.

Fountaine Pajot met aussi le cap à 2030 pour la transition énergétique
"cycle de vie […] 80 % des émissions de CO2 viennent de la phase d'utilisation du bateau"

Comment l'essayer ?

Vous n'êtes pas convaincu après cette lecture ? Nous avons accueilli plus de 10 000 personnes en navigation solaire, chaque visiteur nous a témoigné éprouver un moment intense de plaisir à naviguer plus tranquillement ! Alors voici notre dernier conseil : venez nous voir et essayez par vous-même car l'électrique donne un nouveau sens au mot plaisance.

 

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Les 4 rapports de référence à la source de cet article

1) Le rapport de la FIN pour le Ministre de la Mer

Titre : Le Nautisme de Demain

Auteurs : Yves Lyon-Caen, Président de la Fédération des Industries Nautiques

Guillaume Sellier, Directeur Interrégional de la Mer, Nord Atlantique – Manche Ouest

Publié en décembre 2021 sur le site de la Fédération des Industries Nautiques

Consultation du rapport sur le site de la FIN

Extrait : « Si l’innovation est foisonnante, elle est principalement une innovation de continuité et non de rupture. … les constructeurs sont des concepteurs assembleurs, qui dépendent en grande partie des innovations de leurs fournisseurs (les motoristes pour les moteurs, l’industrie chimique pour les coques, les équipementiers, etc. »

Nb : SeaZen remercie la filière de l’avoir interviewés pour ce rapport qui en retour nous aura inspiré pour cet article

2) Le PTEF (Plan de Transformation Énergétique) pour l’industrie automobile

Titre : La transition bas carbone, une opportunité pour l’industrie automobile française

Auteur : les Shifters

Publié en novembre 2021 par le Shift Projet

Consultation du rapport Automobile sur le site du Shift Projet Automobile

3) Le PTEF (Plan de Transformation Énergétique) pour l’industrie aéronautique

Titre : Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ?

Auteur : les Shifters

Publié en mars 2021 par le Shift Projet

Consultation du rapport Aéronautique sur le site du Shift Projet

Extraits :

Page 78 : « L’énergie électrique nécessaire pour produire ces quantités de PtL et d’H est de 265 TWh (165 TWh pour les PtL et 100 TWh pour l’H2), ce qui nécessiterait un parc éolien dédié au transport aérien environ 8 fois supérieur au parc éolien français total installé en 2019. » ; « Le scénario « MAVERICK » en l’état ne permet pas d’atteindre les objectifs de décarbonation et génère des externalités énergétiques considérables, à un niveau vraisemblablement non anticipé à ce jour par la filière Hydrogène et énergie française. Accélérer la cadence de production de carburant alternatif permettrait néanmoins de l’améliorer, sans pour autant respecter le budget carbone. Il est donc très risqué et peu réaliste en l’état. »

4) Le rapport RTE

Titre : Futurs énergétiques 2050 : les scénarios de mix de production à l’étude permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050

Mise à jour février 2022

Consultation du rapport sur le site de RTE

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